Nautisme • 13 décembre 2018
Van Den Heede. Sa fille: « Je me souviens du premier Noël sans Papa »
GGR 2018, vu de la terre #2/3
#Le Tour des Mers vu de la Terre# Elizabeth et Eric, les enfants de Jean-Luc Van Den Heede, vivent la passion de leur père en totale confiance, non sans inquiétude
Quand leur père part autour du monde, Elizabeth et Eric, restent à terre. Les enfants de Jean-Luc Van Den Heede ont vu leur père quitter les Sables d’Olonne pour s’engager dans la Golden Globe Race. A 73 ans, le détenteur du record du Tour du monde à l’envers, « l’Everest de marins » (2004), a chaviré peu avant le Cap Horn. Il poursuit malgré tout la course, premier au classement. Comment sa famille vit-elle cette passion?
Un Noël sans Papa
Elizabeth a 48ans, mère de trois enfants (10, 15 et 20 ans). Avec son frère, Eric, ils ont toujours navigué en famille. « On avait l’habitude qu’il parte mais sa première longue course m’a marquée, dit-elle. J’avais 7 ans, c’était la Mini-Transat. On nous avait prévenus que ce serait plus long que d’habitude. Pour autant, je ne me souviens pas avoir eu le sentiment de séparation car j’ai toujours connu mon père parti. »
« L’absence faisait partie de notre mode de fonctionnement. »
Cette fois-là, la course tombe durant la période de Noël. La petite fille ouvre ses cadeaux sans son père et s’en souvient encore. « Je me souviens de notre premier Noël sans Papa. Je n’ai jamais vécu de manque précisément, car l’absence faisait partie de notre mode de fonctionnement. Mais, tout de même, le fait qu’il soit absent à Noël m’avait marquée. »
Eric, de son enfance, conserve un bon souvenir, mettant à profit l’absence paternelle. « J’ai bien vécu cette période car du coup j’avais beaucoup de liberté. »
« Le soir, on cogite »
Le 5 novembre dernier, Jean-Luc Van Den Heede, chavire à bord de son voilier de 10,70m, près des 40e Rugissants. Son mât est endommagé.
« On sait qu’il serait malheureux s’il ne partait pas. »
« Quand on l’apprend, on y réfléchit d’un point de vue technique. A partir du moment où l’on sait qu’il cherche des solutions, on sait qu’il prendra la bonne. On espère juste qu’il ira bien physiquement. Dans la journée, on est pris par le boulot, les enfants, etc. Le soir on cogite un peu et on se dit « Pourvu que ça passe… » car on sait que le danger existe. On l’occulte. De toute façon, on sait qu’il serait malheureux s’il ne partait pas. »
« Ça fait mal »
Eric a appris le chavirage de son père par la compagne de celui-ci. « Odile nous a appelés. Ma femme a reçu l’appel et m’a laissé ce message: « Ton père a chaviré mais il va bien ». Pendant deux jours, nous n’avons eu aucune nouvelle. Je n’ai pas peur car je savais qu’il allait gérer son truc mais ça fait mal car on ne peut pas lui donner des idées de réparation. On se sent impuissant. »
Papi a chaviré
Des enfants d’Elizabeth, sa fille est est celle qui suit le plus la course de son grand-père. Elle écoute les vacations radio. « Elle est titillée par la course et inquiète pour son grand-père, témoigne sa mère. Lors de l’incident, elle voulait vraiment savoir ce qu’il s’était passé. »
Les cousins suivent également la course de Papi, de loin. « Quand il a chaviré, j’ai vite prévenu ma fille, 20 ans, étudiante à Vannes, explique Eric, je ne voulais pas qu’elle l’apprenne par les médias. Puis mon fils, 18 ans, a cherché des informations sur Facebook. Ils suivent la course de loin. Ils ne sont pas du tout inquiets, ils ont toujours connu ça. Pour eux, il n’y a vraiment rien d’inhabituel. »
« Je vais recommencer mes conneries »
Il y a trois ans, Jean-Luc Van Den Heede annonce à ses enfants son intention de repartir en course autour du monde (son 6e). « Il nous a dit: « Je vais recommencer mes conneries, je vais repartir autour du monde. » Je me suis dit: « c’est top! ». Certes, il n’a pas la même santé mais il a davantage d’expérience et une motivation très forte. »
Eric: « Hé bien je me suis dit: « Drôle d’idée! » Comprenez, il a son record autour du monde. Mais non, là, il la voulait celle-là aussi. Il a dit que s’il se lance dans une course, c’est pour gagner. »
« Ce sera comme d’hab’, on sera transparents! »
Lorsqu’il coupera la ligne d’arrivée, ses proches savent qu‘ils devront patienter pour profiter d’un vrai moment d’intimité. « On le connait! Il sera avec ses amis, ses partenaires. J’attendrai le premier repas en famille pour retrouver mon père » sourit Elizabeth, résignée.
Son frangin, un brin moins philosophe, l’attend pour « la vague des anniversaires de février ». Bien entendu, il viendra accueillir son père à l’arrivée, mais pas dans la cohue. « Je n’aime pas quand il y a trop de monde et puis, ce sera comme d’hab’, on sera transparents! On a l’habitude mais c’est fatigant. »
Papi sera de retour fin janvier. Nul doute que le plus beau cadeau qu’il puisse faire à sa famille, c’est sa présence.
Gaëlle Richard