Insolite • 30 mai 2021
Un kayakiste français à l’assaut du Pacifique !
C’est une très belle ligne de départ qui a été choisie par Cyril Derreumaux, car dans quelques jours c’est sous le Golden Gate de San Francisco, entouré d’une flottille de petites embarcations d’amis et de curieux, que le kayakiste français, originaire de la région de Lille, et établi aux États-Unis depuis maintenant plus de 10 ans, entamera l’aventure qu’il prépare depuis 3 ans.
Après être passés sous le mythique pont, tous les accompagnateurs feront demi-tour pour retrouver la terre ferme et le confort de leurs maisons, tandis que Cyril Derreumaux continuera sa route en solitaire et sans assistance, pour une traversée estimée à 60-70 jours. “J’ai du mal à imaginer l’état émotionnel dans lequel je me trouverai à ce moment-là » confie Cyril, “Impossible de me projeter pour le moment, mais si je suis certain d’une chose, c’est que ce sera intense ! Le genre d’émotions qu’il est impossible de vivre habituellement !”.
Ses objectifs : Se confronter à une aventure unique, en apprendre beaucoup sur lui-même, et pourquoi pas établir un nouveau temps de référence sur cette traversée qui n’a été réalisée en kayak qu’une seule et unique fois en 1987 par le rameur Ed Gillet qui l’avait bouclée à l’époque en 64 jours.
Le défi est immense, mais c’est avec une préparation solide et en marin avisé que Cyril Derreumaux embarque dans cette nouvelle aventure océanique
Fort d’une décennie de nombreuses expériences sur différents supports de rames (canoë outrigger, aviron, kayak…), Cyril Derreumaux connaît particulièrement bien les enjeux de cette traversée « Californie-Hawaii » pour l’avoir déjà réalisée il y a 5 ans avec 3 coéquipiers rameurs dans le cadre de la “Great Pacific Race”.
À l’époque, ils avaient remporté la course en 39 jours 9 heures et 56 minutes, établissant d’ailleurs un nouveau record du monde “Guinness” pour la traversée la plus rapide.
“Cette fois-ci ce sera très différent” raconte Cyril. “D’abord ça n’est pas le même type de bateau, et en plus des efforts physiques et la navigation, je vais devoir gérer le fait d’être seul longtemps. Ça n’est pas du tout naturel pour moi qui suis plutôt communiquant, j’ai en général vraiment besoin d’être avec les gens et de partager. J’espère ne pas me retrouver à parler tout seul trop vite !”
Un kayak construit spécialement pour cette traversée
Baptisé “Valentine”, du nom de la sœur de Cyril, le kayak océanique long de 7 mètres pour 200 kg (450 kg en charge) est construit en composite carbone/époxy, lui permettant d’être à la fois léger et solide, et est équipé d’une centrale de navigation et de communication complète avec GPS, téléphone satellite, radar de positionnement, tout cela étant alimenté par des panneaux solaires qui rendent l’installation autonome en énergie. Une petite cabine étanche de 1,80 m de long, suffisamment haute pour qu’il puisse tout juste tenir en position assise, permettra à Cyril Derreumaux de s’allonger pour prendre du repos, et de se mettre à l’abri des conditions météo difficiles.
“C’est lors des tempêtes que je risque d’être le plus en difficulté. Imaginez-vous au milieu d’un océan infini, sans aucune terre à proximité, le vent souffle en furie, et les vagues peuvent être si grosses que le kayak peut rouler et se retourner. Même s’il est conçu pour se redresser automatiquement en cas de chavirage, ce sera un peu comme se retrouver dans le tambour d’une machine à laver. Dans ce cas-là je n’aurais pas d’autre choix que de mettre mon casque, de mouiller l’ancre flottante – qui est une sorte de parachute qui permet que le kayak reste perpendiculaire aux vagues – et de prendre mon mal en patience en attendant l’accalmie“.
Cyril s’attend à ce que les 15 premiers jours de mer soient difficiles
Malgré le fait qu’il ait beaucoup navigué en baie de San Francisco ces derniers mois pour s’entraîner, il sera très certainement confronté au mal de mer, au fait d’habituer son corps à une nouvelle alimentation et à un rythme inhabituel de sommeil et d’efforts.
“Une journée typique ce sera un réveil à l’aube, un petit déjeuner, puis une séance de rame de 4 à 5 heures avant une pause pour le déjeuner. Puis une nouvelle séance de rame de 4 à 5 heures, peut-être plus si les conditions sont bonnes jusqu’au coucher du soleil. À ce moment-là, ce sera l’heure de me préparer pour une nuit dans ma cabine, qui sera interrompue toutes les 2 heures pour me permettre de faire un contrôle de sécurité de mon bateau, des conditions météo et des éventuels autres navires autour de moi”.
Cyril Derreumaux prévoit de dépenser environ 8 000 calories par jour, pour un apport alimentaire maximum de 6 000 calories qui lui sera amené par des aliments principalement déshydratés. Il anticipe donc une perte d’environ 10 kg durant son voyage, qu’il a compensée en partie en prenant environ 5 kg ces derniers mois. Et c’est un désalinisateur, alimenté par les panneaux solaires, qui sera en charge de la production d’eau douce à partir de l’eau de mer.
Plus que tout, le rameur espère de cette aventure qu’elle “lui offre un nouveau regard sur la vie !”. “Je ne sais pas dans quel état d’esprit je serai en bouclant la traversée, mais je sais que je serai une personne profondément différente, un être humain plus conscient de toutes les choses que l’on considère comme allant de soi, et que le manque temporaire nous fait encore plus apprécier lorsque l’on a la chance d’en profiter au retour.”.
Cyril Derreumaux, son CV d’athlète
Pirogue Polynésienne / Outrigger
- 4 participations aux Championnats du monde de pirogue polynésienne 43 miles “Moloka’i Hoe” (2010/11/14/15) – Hawaii
- 4 participations au Catalina Crossing Challenge (5 heures, 32 miles de l’île de Catalina à Newport Beach)
Canoë
- The Cal100 : Course de 12 heures, 100 miles, descendant la Rivière Sacramento
- Yukon River Quest : Course de 444 miles en canoë dans le Yukon au Canada
- 2012 : 2ème place au général dans un canoë « Voyageur » (6 pers) en 42h45’
- 2018 : 1er en canoë C4 en 52 heures
- 2019 : 5ème en canoë C2 en 56 heures
Rame Océanique
- Vainqueur 2016 de la Great Pacific Race, une course d’aviron océanique de 2.400 milles marins (4.400 km) de Monterey en Californie à Oahu à Hawaii. Skipper du bateau “Team Uniting Nations”, une équipe de 4 personnes de 4 nationalités différentes.
- Détenteur du record du monde Guinness de la traversée la plus rapide en 39 jours, 9 heures, 56 minutes (voir la fiche du record sur le site officiel)
3 questions à Cyril Derreumaux
Bonjour, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis un français de 44 ans, originaire du nord de la France. Je suis papa de 2 garçons, Oliver et Simon qui ont 15 et 12 ans. Depuis la fin du lycée, j’ai beaucoup voyagé et habité dans différents coins du monde: Italie, Brésil, Espagne, Angleterre, Argentine, Etats-Unis. Je me considère comme un citoyen du monde. Depuis 2008, je suis basé à San Francisco où j’ai découvert l’univers des sports de pagaies et où j’ai monté diverses entreprises avec en tête l’idée de faire vivre ma famille tout en me libérant le maximum de temps pour mes passions.
Comment définiriez-vous la philosophie de vie qui vous a amené à cette aventure ?
Je commence toujours à présenter mon projet en expliquant que je suis un homme comme les autres, quelqu’un de tout à fait normal, je ne suis pas un immense sportif ou une bête physique. Tout vient du fait que j’ai eu la chance d’avoir des racines et un soutien familial qui m’ont donné une solidité mentale et des ailes pour m’envoler et aller au bout de mes rêves. J’ai réalisé un jour que la vie devait être une aventure, ce qui correspond bien à ma personnalité optimiste toujours à la recherche de la réponse à la question : “Comment fait-on pour être heureux ?”. Cette réponse, je ne la trouve pas dans les choses matérielles mais dans tout ce qui me fait rêver. Quand on trouve quelque chose qui nous fait véritablement vibrer, tout devient plus facile. Avec cette philosophie de vie, j’ai tout simplement suivi mon cœur et mes aspirations.
Comment vous êtes-vous préparé physiquement et mentalement ?
En fait, le projet a un an de retard ! Mon départ était prévu le 1er mai 2020, mais la crise sanitaire a tout arrêté quasiment à la dernière minute car en mars 2020, je n’ai pas pu me faire livrer mon kayak qui a été construit en Angleterre par Rob Feloy, un constructeur très expérimenté. Il n’y avait rien à y faire, j’ai donc accepté ça avec philosophie. Du coup, dans le but d’être prêt pour ma traversée en 2021, j’ai choisi d’enchaîner durant un an les grosses sorties et les expéditions en commençant le jour que j’avais fixé initialement pour mon départ, le 30 mai 2020. Avant l’arrivée du bateau, j’avais aussi construit une reproduction en bois de la petite cabine du kayak que j’avais mise sur une remorque et j’avais commencé à passer des jours et des nuits dedans pour m’habituer à l’isolement et l’étroitesse.