Nautisme • 17 juillet 2024
JO de paris : Dans les coulisses de la fabrication des voiles de course
[REPORTAGE]
A La Rochelle, la voilerie Incidence Sails est le deuxième fabricant au monde à élaborer des membranes filamentaires. Elle puise sa technologie dans l’univers de la course au large
Fini le temps du lin, aujourd’hui les voiles sont des bijoux de technologie. A La Rochelle, l’historique voilerie Incidence Sails, 1ère française, 4e mondiale, vient d’opérer un retour en force sur ce marché très concurrentiel grâce à sa filiale de recherche et développement, Incidence Technologie basée à Périgny et créée en 2013(1). Résultat, après le leader mondial North Sails, Incidence est le deuxième fabricant au monde à développer des voiles réalisées en membrane filamentaires.
Rigide ou résistante
Dans le hangar du quartier des Minimes, sur l’immense parquet le bruit des machines à coudre alterne avec le frottement des bandes de matériau composite sur le bois. Entre les doigts, ce « tissu » est rigide. « Il est raide pour supporter les forces qui vont s’exercer dessus, explique Philippe Touet, directeur du site de La Rochelle. Une voile, que ce soit pour la course ou pour la croisière doit répondre à quatre critères : solidité, poids, conservation de la forme et durabilité. » Or, tous ne sont pas compatibles, sinon ce serait trop simple. « Plus une voile est rigide, plus elle pourra conserver sa forme. Mais, moins elle résistera aux UV et à l’usure du fasseyement. Tout l’enjeu consiste donc à trouver le bon compromis. » Il pense que les équipes d’Incidence Technologie s’en rapprochent avec le matériau qu’elles ont mis au point, le DFi.
Sandwich de fibres et de films
La voile (la membrane) est en fait un sandwich de films encollés et de fibres (jusqu’à 18) disposées selon un schéma finement étudié, le tout étant ensuite solidarisé sous vide, chauffé et soumis à une pression de plusieurs tonnes. C’est ce processus multi-couches qui crée sa durabilité. Comme une voile n’est jamais soumise à des efforts uniformes, les fibres sont placées là où les contraintes sont les plus fortes. Le dessinateur définit les directions à donner à ces fibres de façon à répondre aux sollicitations mécaniques de la voile. Le skipper, selon le programme de son bateau, choisira la fibre la plus adaptée (carbone, aramide, dyneema, vectran).
« Le carbone donne la stabilité à la forme mais il faut le mélanger à d’autres fils, généralement de l’aramide, pour une résistance au fasseyement et aux UV, nos deux ennemis jurés ! »
Sur le parquet, en cette mi-novembre 2017, une grand-voile en DFi prend forme pour un voilier de Nouvelle-Zélande qui prévoit de se lancer dans un tour du monde. D’une surface de 480 m², il faudra environ 1.150 heures pour la fabriquer.
Issue de la course au large
Les technologies développées par Incidence sont issues de la course au large comme dans le secteur de l’automobile. « Toutes les nouvelles fibres que nous utilisons aujourd’hui pour les bateaux de chantier ont été créées pour la course, notamment l’America’s Cup. Comme, d’ailleurs, beaucoup de techniques, le winch par exemple. » La fabrication des voiles résulte d’un « subtil mélange entre la haute technologie et le savoir-faire traditionnel du maître voilier sur le plancher » aime à dire le directeur général, Eric Ohlmann.
Et puis, la mode s’en mêle aussi. Avant, les voiles étaient jaunes. Aujourd’hui, tout le monde les veut grises ou noires. « Savez-vous que pour les bateaux de grande croisière, à gros budget, c’est souvent la femme du propriétaire qui choisit la couleur. Parfois même au détriment de la performance… mais ne le répétez pas!». Promis.
Gaëlle Richard
1-Incidence est également basée à Brest, Lorient, près de Toulon et en Allemagne.
La saisonnalité de la fabrication
La voilerie s’adapte à la saisonnalité de la demande. De mars à juin, elle travaille surtout pour les particuliers et les chantiers de l’hémisphère nord. En septembre-octobre, pour les grandes courses comme le Vendée Globe Challenge, l’America’s Cup, la Transat Jacques-Vabre, la Volvo Race Ocean, la Route du Rhum. De février à avril ; pour les courses locales comme le Spi Ouest-France.
Incidence Sails réalise un chiffre d’affaires de 12 millions d’euros par an, dont plus de la moitié est réalisé par les chantiers navals.
L’évolution de la demande
« Aujourd’hui, nous avons davantage de demande pour des catamarans, note Eric Ohlmann, directeur général de Incidence Sails. La voile est, aujourd’hui un marché extrêmement porteur [Incidence Sails vient d’ailleurs de racheter Delta Voiles, NDLR]. Celui du catamaran a explosé et poursuit sa croissance à deux chiffres. Nous sommes historiques sur ce secteur donc les grands chantiers comme Foutaine-Pajot (La Rochelle) ou CNB (Bordeaux) nous font confiance. La pratique de la voile évolue. On voit de moins en moins de personnes choisissant le monocoque car il demande davantage de techniques et de connaissance et que la gîte décourage souvent les femmes des chefs de bord. En revanche, le catamaran est plus facile pour une utilisation familiale. »