Environnement • 27 septembre 2019
Les eaux contaminées de Fukushima seront-elles rejetées dans l’océan ?
La catastrophe nucléaire de Fukushima, placée au même niveau de gravité que celle de Tchernobyl, a traumatisé l’ensemble de la planète, et notamment les Japonais directement touchés par ce drame environnemental et humain. Depuis huit ans, c’est tout leur quotidien qui est rythmé par les séquelles de l’explosion de la centrale nucléaire, dont le démantèlement complet devrait durer quarante ans. C’est donc avec stupeur et colère que la population a réagi à l’annonce du désormais ex-Ministre de l’Environnement, Yoshiaki Harada, qui a évoqué l’éventualité de rejeter dans l’Océan Pacifique les eaux utilisées pour le refroidissement des réacteurs, et contaminées par les nucléides issus de l’explosion.
Un drame environnemental et humain
Japon, le 11 mars 2011 : un séisme de magnitude 9 touche l’archipel nippon, déclenchant un tsunami avec des vagues jusqu’à quarante mètres de haut, et causant la mort de 15 894 personnes. Dans la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi, c’est le chaos : effondrements nucléaires et explosions d’hydrogène ravagent le site. Alors que le système de refroidissement de la centrale est touché, les cœurs des réacteurs 1, 2 et 3 entrent en fusion et la piscine de désactivation du réacteur 4 est en surchauffe. Il est crucial de trouver une solution pour refroidir les réacteurs. D’immenses quantités d’eau issues du système de refroidissement, ainsi que de l’eau de mer, sont alors déversées dans la centrale. Mais en parallèle, elle est également abondamment alimentée par les eaux souterraines, qui s’infiltrent via des fissures dans les fondations des réacteurs. Après le passage dans la centrale, cette eau, devenue contaminée, est dans un premier temps filtrée, puis stockée dans des réservoirs. Mais si le filtrage piège le césium et le strontium, qui sont des substances radioactives, il ne permet pas de débarrasser l’eau de l’ensemble de ses nucléides. Ainsi le tritium, qui est un isotope de l’hydrogène très difficile à isoler du fait de la présence d’hydrogène dans l’eau, continue de la contaminer.
Stocker l’eau contaminée… et après ?
Aujourd’hui, le gouvernement nippon se trouve face à la question du devenir de cette eau, dont le volume continue d’augmenter inexorablement (on parle de 770 000 tonnes d’eau). En effet, la capacité actuelle de stockage devrait permettre d’absorber l’eau de refroidissement contaminée jusqu’à l’été 2022 seulement. Au-delà, l’installation ne pourra plus l’accueillir.
Dans ce contexte, Yoshiaki Harada a envisagé lors d’une conférence de presse la possibilité de rejeter ces eaux dans l’océan. Suscitant l’émoi et la consternation dans le monde entier, et notamment chez les pêcheurs japonais et coréens, il a été limogé immédiatement. Pourtant les experts de l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) estiment que cette éventualité est réaliste. Selon Thierry Charles, Directeur Général adjoint de l’IRSN, « la quantité de tritium à rejeter, sur plusieurs années, est inférieure à la valeur limite du rejet autorisé chaque année de cet élément radioactif par l’usine de La Hague ». L’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AEIA) partage également cette analyse. Toutefois, l’avis de Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire et directeur du laboratoire de la CRII-RAD (association antinucléaire), est dissonant en la matière. Selon lui, une telle manœuvre aurait des impacts irréversibles sur la faune et la flore, avec un risque accru que cette contamination entre dans la chaîne alimentaire humaine, par le biais de la consommation de poissons.
Bien que pressante, la décision de rejeter ces eaux contaminées (avec les conditions de la manœuvre telles que la durée, la dilution…) ne devrait pas intervenir avant les Jeux Olympiques de Tokyo l’été prochain. Avec des blessures qui ne se sont jamais refermées, et qui ne le seront probablement jamais.