Insolite • 24 avril 2020
Le saviez-vous ? Le pétrolier Erika
Cet événement est connu comme l’un des plus graves épisodes de marée noire de l’histoire.
Le 12 décembre 1999, le pétrolier Erika fait naufrage au large de la Bretagne avec à son bord près de 30 000 tonnes de fioul lourd, dont 20 000, dans les heures qui suivent, se déversent peu à peu dans l’océan. Cet événement est connu comme l’un des plus graves épisodes de marée noire de l’histoire.
Mais le saviez-vous ?
L’Erika : un pétrolier battant pavillon maltais, affrété par Total et construit au Japon
Construit en 1975 au sein des chantiers Kasado Docks Ltd de la ville de Kudamatsu au Japon, le pétrolier Shinsei-Maru ne prend le nom d’Erika qu’en 1996, après avoir porté huit noms différents et arboré les couleurs du Japon, du Panama, du Liberia et finalement de Malte.
Sa fonction reste cependant la même tout au long de sa carrière ; d’une longueur de 184 mètres, il est conçu comme un transporteur de produits pétroliers, disposant de 13 citernes et de deux slop-tanks, ces réservoirs qui permettent de récupérer le pétrole et autres mélanges aqueux restés dans les citernes après leur nettoyage. Il peut au maximum emporter un peu plus de 37 000 tonnes de produits, avec une vitesse de 15 noeuds et un équipage de 26 personnes.
Par conséquent, au printemps 1999, Total fait affréter l’Erika pour honorer un contrat de vente de 200 à 280 000 tonnes métriques de fioul avec Enel, principal producteur d’énergie électrique d’Italie.
Les causes multiples d’un naufrage évitable
En 1999, l’armateur, Giuseppe Savarese (Tevere Shipping Co. Ltd.), est italien et collabore avec la société Panship pour la gestion technique de l’Erika. Cette dernière est mise en cause lors du procès pour avoir cautionné en 1998 et 1999 des interventions insuffisantes pour palier au fort délabrement du pétrolier ; motivés par les seuls intérêts de l’armateur, ces travaux affaiblissent la structure de l’Erika, jouant un rôle non négligeable dans le naufrage et le déversement du fioul dans l’océan.
Mais le mauvais temps aurait également pu être invoqué pour annuler le départ du navire ce 8 décembre 1999 ; des vents forts animent les eaux de la Manche, qui présente des creux de vagues de trois à quatre mètres. Pourtant, chargé de 30 884 tonnes de fioul lourd n°2 prélevées dans le terminal Total de la raffinerie des Flandres, l’Erika et ses 26 membres d’équipage appareillent en début de soirée afin de livrer la compagnie italienne d’électricité.
Naviguer par gros temps
Le pétrolier navigue par gros temps. Les conditions se détériorent avec une mer dépassant six mètres de creux, qui malmène violemment le navire. Le 11 décembre, il commence à fortement gîter sur tribord et à présenter des fissures. Du fioul s’est par ailleurs déversé dans les ballasts, ces réservoirs d’eau qui, en étant remplis d’eau de mer ou vidangés, permettent d’optimiser la navigation. Après plusieurs échanges avec la côte et les différents dirigeants de l’opération, annonçant tantôt une situation de détresse, tantôt une reprise en main et un projet de mise à l’abri dans un port, l’Erika voit les choses s’aggraver fortement le 12 décembre : la mer est très grosse, la gîte reprend et les fissures s’élargissent. Le pétrolier commence à perdre du fioul en mer. Les informations ont été transmises trop tardivement, notamment aux autorités maritimes françaises, et la version donnée sur le déroulement des événements diffère selon les intervenants.
Vers 6h du matin, tandis que la déchirure de la coque entraîne une voie d’eau, le Centre Régional Opérationnel de Surveillance et de Secours (CROSS) reçoit finalement un appel de détresse ; le commandant demande l’évacuation du navire, qui se trouve à 30 miles au sud de la pointe de Penmarc’h, dans les eaux internationales. Lourd de ses quatorze cuves remplies de 30 884 tonnes de fioul, l’Erika se plie, il n’est plus manoeuvrable ; l’équipage a trouvé refuge au niveau du château arrière et sur une chaloupe.
« L’Erika se plie »
Les conditions météorologiques rendent l’intervention aéronavale très délicate ; celle-ci dure près de trois heures, tandis que le navire commence à se briser en deux parties et qu’un tiers du fioul embarqué coule dans l’océan. La moitié arrière du pétrolier, qui contient encore une bonne partie de la cargaison, dérive vers Belle-Île ; un remorqueur tente de l’éloigner des côtes, mais elle coulera le lendemain, tandis que la partie avant disparaît dans la nuit. Toutes deux vont aller reposer par 120 mètres de fond, emportant 20 000 tonnes de fioul qui se déversent en partie dans l’océan.
Finalement reconstitué au cours du procès, le fil des événements présentera des zones d’ombre et des contradictions, mettant de nouveau en cause la société Panship, qui aurait donné au capitaine des instructions favorisant l’armateur et méprisant la sécurité de l’équipage, ainsi que la protection de l’environnement.
Des conséquences historiques pour l’environnement et pour la lutte contre la pollution marine
Cette tragédie fait tristement écho au naufrage de l’Amoco Cadiz en mars 1978, et à un épisode de marée noire qui avait donné l’impulsion nécessaire à la création de dispositifs de lutte efficaces et rapidement mobilisables contre les pollutions maritimes.
C’est pourquoi la France est plongée dans l’incompréhension lorsque les terribles conséquences de ce naufrage se révèlent au fil des jours. Malgré la mise en place de barrages flottants et d’opérations de pompage, les nappes noires, qui se sont fragmentées en petites plaques très denses et qui ont été poussées par les tempêtes de fin d’année, polluent près de 400 km de côtes, du Finistère à la Charente-Maritime.
Conséquences pour les oiseaux
Alors entre 150 000 et 300 000 oiseaux perdent la vie, un bilan bien supérieur à celui de l’Amoco Cadiz, qui provoque la mort de 10 000 oiseaux de mer en déversant dans la Manche 223 000 tonnes de pétrole brut. Le fioul lourd de l’Erika présente une plus forte viscosité, dans laquelle les animaux s’engluent. L’impact sur les êtres vivants benthiques et pélagiques est également considérable et s’ajoute aux risques sanitaires qui menacent les êtres humains. Le préjudice économique sera quant à lui évalué à près d’un milliard d’euros.
La population se mobilise pour nettoyer les plages et tenter de sauver les 32 000 oiseaux mazoutés recueillis vivants ; seuls 6% environ sont relâchés, sans certitude quant à leur survie. Des milliers de tonnes d’un mélange de fioul et de déchets sont récupérés, tandis qu’une expédition est montée par Total pour récupérer le fioul demeuré dans les cuves du pétrolier, qui menace d’aggraver lourdement le bilan écologique. 11 200 tonnes de fioul sont extraites de l’épave, pour un coût total de 900 millions d’euros.
Le jugement de 2008
En outre, le jugement de 2008 – qui rend notamment responsable le Groupe Total et l’armateur, et relaxe le capitaine -, représente une avancée majeure en ce qu’il dénonce un préjudice d’ « atteinte à l’environnement », une innovation qui s’applique en faveur de collectivités territoriales et d’associations de défense de l’environnement. Reconnus coupables de pollution marine, Total et ses partenaires font appel de leur condamnation, qui prévoit notamment le versement de 192 millions d’euros d’indemnisations aux parties civiles ; en 2010, le montant des dommages et intérêts est finalement porté à 200,6 millions d’euros. Après un pourvoi en cassation, Total est définitivement reconnu coupable en 2012.
Finalement, ce traumatisme incite l’Union européenne et l’Organisation maritime internationale à renforcer leur politique en matière de sécurité et de pollution maritimes. La Commission européenne présente en mars 2000 le « paquet Erika 1 », qui vise à améliorer la prévention des accidents et les mesures de sauvegarde des océans. S’en suivront les « paquets Erika 2 et 3 » qui renforceront et complèteront les dispositions prises avec de nouveaux aménagements, comme la création d’un fonds européen et d’une agence européenne de la sécurité maritime.