Dossier • 11 décembre 2019
Anniversaire de l’opération Frankton
L’histoire des vaillants marins anglais qui ont sauvés le Port de Bordeaux lors de la 2nde Guerre Mondiale.
Tout commence en 1942, lorsque presque toute l’Europe vit sous l’Occupation nazie…
Winston CHURCHILL, s’inquiète du nombre grandissant de navires de l’Axe « Forceurs de blocus » qui utilisent le port de Bordeaux pour transporter des produits essentiels à l’industrie de guerre allemande et des armes à destination du Japon.
Il donne l’ordre à Lord Louis MOUNTBATTEN, chef des opérations interarmes d’intervenir. MOUNTBATTEN et Anthony EDEN (Ministre des Affaires Etrangères) s’opposent au bombardement du port par les avions de la Royal Air Force car trop de vie humaines sont en jeu.
Ils tombent donc d’accord sur une mission spéciale de commando qui va être baptisée: « Opération FRANKTON » aussi connue sous le nom : « Opération Coque de Noix » (en raison du type de kayak utilisé : Cockle Mark).
En quoi consiste la Mission ?
Le plan est simple : six kayaks seraient placés sous le commandement du Major HASLER, chacun manoeuvré par deux hommes et transporté non loin de l’embouchure de la Gironde par un sous-marin qui les mettrait à l’eau en effectuant son service normal de patrouille.
Ils remonteraient ensuite l’estuaire en se cachant de jour et poseraient des mines limpets (bâton d’explosif aimantés) sous la ligne de flottaison des navires qu’ils trouveraient dans le port de Bordeaux pendant la nuit.
À leur arrivée sur Bordeaux, ils abandonneraient leurs canots et essaieraient de rejoindre la ville de Ruffec en Charente, où des membres de la Résistance les attendraient afin de les rapatrier à Londres.
Que se passe-t-il réellement ?
Dans la soirée du 7 décembre 1942, le sous-marin britannique « HMS TUNA » met cinq kayaks à l’eau, au large de Montalivet (Gironde). En effet, le sixième Kayak est endommagé au moment de la mise à l’eau et ne peut donc pas participer à l’opération. Une des cinq embarcations disparaît en passant des remous, une seconde chavire également peu après, les deux membres de l’équipage du second canot sont remorqués près du rivage et sont abandonnés à leur sort.
Les trois autres kayaks sont portés par la marée près du môle du Verdon et obligés de se glisser entre le môle et quatre navires ennemis à l’ancre. Peut après, l’un des trois kayaks est séparé du groupe… on ne le reverra plus.
Les deux kayaks restants: « Catfish » avec à son bord le Major HASLER et son co-équipier le Marine SPARKS et le « Crayfish » avec à son bord le Caporal LAVER et le Marine MILLS, ne peuvent naviguer que de nuit et avec une marée favorable. Il leur faut passer la journée cachés dans les broussailles de la berge.
Le 11 décembre 1942, tôt dans la matinée, ils arrivent en face de Bassens et cherchent un endroit où se cacher avant de pouvoir exécuter leur mission.
Cette nuit là vers 21h00, les deux kayaks se préparent à exécuter la dernière étape de leur mission : la pose de mines marines sur les navires ennemis.
Le « Catfish » se dirige vers les quais de la rive gauche du port de Bordeaux et réussit à fixer des mines magnétiques Limpet sur trois grand navires amarrés à cet endroit.
Le « Crayfish » reste sur Bassens et pose ses mines sur deux navires amarrés dans le môle.
Et après ?
La mission accomplie, les quatre hommes ont seulement quelques heures pour s’enfuir de la région. Il faut qu’ils détruisent leurs kayaks et effectuent le voyage à pied jusqu’à Ruffec en Charente, soit un périple pédestre de 160km en zone occupée ! (cf image ci-contre)
Ils descendent la Gironde jusqu’à Saint-Genès-de- Blaye en profitant de la marée descendante et du courant, puis coulent leurs embarcations et s’enfoncent dans les terres. Pour plus de sécurité les deux équipes se séparent.
Pendant ce temps les mines ont explosées quatre navires : le « Tannenfel » le « Dresden« , « l’Alabama » et le « Portland » qui ont été très sévèrement endommagés.
Anecdote : dans le cas du « Dresden », sous prétexte de combattre l’incendie qui se propage, les pompiers Français du port aggravent les dégâts en l’inondant afin de le faire chavirer.
Et qu’en est-il du repli des deux équipes ?
Les deux groupes entreprennent une marche de 160 km dans le froid, sous la pluie et de nuit afin d’éviter les allemands pour rejoindre Ruffec.
Le 14 décembre 1942, l’un des deux groupes, constitué du Caporal LAVER et du Marine MILLS, est repéré. Ils sont arrêtés malgré le fait qu’ils portaient leur uniforme de l’armée Britannique. Puis sont considérés comme des terroristes et non des militaires et sont fusillés en mars 1943 à Paris.
Du commando de départ composé de 10 hommes il ne reste plus que 2 survivants : Hasler et Sparks ! Et ils doivent parcourir 160 km à pied en terrain ennemi pour espérer survivre.
Après 7 jours de marche, mourant littéralement de faim et de froid, ils parviennent à Saint-Même-les- Carrières en Charente et trouvent, à partir de là, une solidarité de la Résistance Charentaise qu’ils n’espéraient pas. Ils sont pris en charge, hébergés et nourris à Saint-Preuil par la famille Pasquereau.
Hasler et Sparks atteignent enfin Ruffec le 18 décembre 1942, en fin de matinée. Ils savent seulement qu’ils doivent contacter la Résistance dans un petit hôtel de la ville. Ils arrivent à l’hôtel- Restaurant la « Toque Blanche », et prennent le risque de se faire connaître de la patronne Mme Mandinaud, aussitôt cette dernière les cache dans la cuisine, elle leur donne à manger et les rassure, ils sont au bon endroit !
Le soir venu, M. Mandinaud introduit M. MARIAUD à la « Toque Blanche » afin d’interroger les deux Anglais et s’assurer que ce sont bien des soldats Anglais et non des espions déguisés. Ceux-ci rassurés vont les conduire à l’abri avant de les faire repartir pour l’Angleterre.
Le soir même après minuit, René Flaud le boulanger de Ruffec prend en charge Hasler et Sparks et va les déposer dans le bois de Benest en Charente. Un passeur les conduit jusqu’à Marvaux, dans la ferme isolée d’Armand Dubreuille membre du réseau « Marie-Claire » (réseau d’évasion mis en place par Mary Lindell de son vrai nom).
Caché dans la ferme et ils ne sortent que la nuit pour prendre l’air, et vont devoir patienter 42 jours avant que le réseau puissent les évacuer.
Le rapatriement des survivants
Après 42 jours d’attente en Charente chez les Dubreuille, le fils de Marie Lindell, Maurice de Milleville, alors âgé de 18 ans, prend en charge Hasler et Sparks.
Ils partent tous les trois en vélo jusqu’à Roumazières où ils prennent le train jusqu’à Limoges, puis jusqu’à Lyon où les attend Marie Lindell.
A partir de Lyon ils vont être pris en charge par différentes cellules du réseau jusqu’à Perpignan, puis ils traversent les Pyrénées et arrive enfin au Consulat Britannique de Barcelone. Il seront ensuite conduit à Gibraltar d’où ils pourront repartir au pays afin de reprendre leur service actif.
Le destin des hommes du commando
Des dix hommes qui ont participés à la mission, seul le Major H.G Hasler et le Caporal William Sparks en ont réchappé.
Sur les huit autres: deux se sont noyés (Caporal Georges SHEARD et le Marine David MOFFAT).
Six ont été capturés, torturés puis fusillés:
– quatre à Paris le 23 mars 1943 : Caporal Albert LAVER et le Marine Henry MILLS, Lieutenant John MACKINNON et le Marine James Conway
– deux à Blanquefort (Gironde) le 12 décembre 1942 : Sergent Samuel Wallace et le Marine Robert EWART.
Rendez-vous au Musée Mer Marine des journées commémorations
Le souvenir et le partage de cette mission, souvent méconnue des français et des bordelais, est important pour le Musée Mer Marine. En ayant lu cet article, vous ne verrez plus le port de Bordeaux de la même façon.
Le MMM participe à la commémoration de cet évènement par la mise en place d’une animation au sein du parcours permanent ces mercredi 11 et jeudi 12 décembre 2019.