Sport • 27 novembre 2018
Fabrice Payen, la Route du Rhum, une prothèse de jambe et un démâtage
Traverser l'Atlantique en solitaire avec une prothèse de jambe est une première. Fabrice Payen a, en plus, dû affronter un démâtage. Il raconte
Fabric Payen est le premier marin handicapé avoir couru la Route du Rhum. Alors qu’il était 2e de la catégorie Rhum Multi, le skipper amputé et appareillé d’une prothèse de jambe a démâté.
Depuis la Guadeloupe, il raconte.
Comment s’est déroulé ce moment où vous sentez le bateau démâter?
Vers 10h le 8 novembre, j’entends un crac puis plus rien d’autre que le silence de la mer, je comprends tout de suite. Je vois la cadène tribord qui est sortie du flotteur au vent, le mât posé sur le flotteur sous le vent, 25, 30 noeuds de vent, la mer est encore très grosse. Je prends un couteau et libère tous les points d’attache pour dégager le gréement avant qu’il n’endommage la coque, impossible d’enlever la goupille qui retient l’axe de l’étai, le gréement qui traîne devant le bateau et me maintient en marche arrière par rapport à la grosse houle fini par arracher la cadène d’étai. Me voilà libéré.
Vous avez dû recourir à des astuces pour colmater le flotteur tribord?
Oui, j’avais percuté un gilet dans le trou laissé par la cadène. Mais l’eau est quand même rentrée. J’ai découpé et vissé une tôle de tissu de verre déjà séchée puis des sangles à cliquets… Le tout entre deux vagues. Bref, j’ai pompé en combinaison de survie assis sur le flotteur balayé par les vagues pendant des heures.
Vous arrivez au Portugal ou bout de trois jours. Votre prothèse vous a-t-elle particulièrement handicapé dans ces opérations?
Mon cerveau se l’est approprié dès lors que j’ai marché avec. Je ne vous cache pas que cela rajoute une difficulté supplémentaire. J’ai dû gérer l’urgence, je n’ai donc pas pu me changer pendant quatre jours. Je n’ai donc pas pu enlever ma prothèse. Or, avec la sudation, elle ne cessait de glisser, pas facile pour garder appui… Avec l’arrivée du soleil j’ai pu enfin m’occuper de mon moignon, le laisser sécher, être en short et non plus en combinaison intégrale.
Le handicap vous pousse-t-il à anticiper davantage?
Oui dès lors que vous avez une contrainte supplémentaire il faut anticiper encore plus que les autres. Je mets un peu plus de temps pour envoyer les voiles, j’ai des positions précises. Mais ce n’est pour cela que l’on doit rester sur le bord de la route.
La presse ne vous décrit pas comme « marin handicapé » mais comme « marin équipé d’une prothèse ». Comment l’analysez-vous?
En effet, alors que c’est un handicap. Sans doute parce que nous avons tous les mêmes bateaux. Valides, handi et femmes s’alignent dans les mêmes catégories. Pour les valides, courir cette course paraît surhumain mais toutes les personnes en situation de handicap doivent s’adapter au quotidien. Un quotidien qui, souvent, n’est pas prévu pour eux. En France, on a du retard par rapport aux pays nordiques pour l’intégration en milieu scolaire ou professionnel.
Que peut-on vous souhaiter?
(Sourire…) D’attirer de nouveaux partenaires pour remettre le bateau en état et pour poursuivre la sensibilisation. Mon but est de montrer ce que l’on peut faire avec une jambe. Je vais en outre interroger la Marine Marchande pour savoir s’ils peuvent me donner l’aptitude. Même avec une jambe, on peut être efficace.
Contact auprès de Vent Debout: via la messagerie du site.
Un accident de moto en 2012
Fabrice Payen, ancien de capitaine de la Marine Marchande, a été victime d’un accident de moto en Inde. Un chauffard l’a percuté avant de prendre la fuite. Il a été hospitalisé un mois avant d’être rapatrié. Soigné en France, il a perdu l’usage de sa jambe. Psychologiquement, sa capacité de résilience lui a permis de surmonter le choc et d’en faire une force.
Après avoir navigué sur des bateaux comme certains des Pen Duick, il décide de réaliser un rêve d’enfants. Il s’élance dans la Route du Rhum. Il a couru pour l’association Premiers de Cordée.