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Gérard d'Aboville, ici lors de sa traversée du Pacifique à la rame en 1991, s'insurge contre le projet d'Yvan Bourgnon / Photo Lesoir.be

Environnement 20 novembre 2018

Gérard d’Aboville juge Le Manta d’Yvan Bourgnon: une « escroquerie »

1/2 D'Aboville-Bourgnon

Suite à notre article sur Le Manta, Gérard d'Aboville se dit "ulcéré" devant les affirmations techniques du projet

Suite à notre article sur Le Manta d’Yvan Bourgnon, Gérard d’Aboville monte au créneau.

Dans cette partie #1, Gérard d’Aboville estime que le projet de quadrimaran nettoyeur des océans relève de « l’escroquerie ». Dans la partie #2, Yvan Bourgnon réplique et détaille ses positions.

 

D’Aboville, l’Atlantique à la rame

Gérard d’Aboville, célèbre navigateur, est le premier français à traverser  l’océan Atlantique à la rame en 1980. En 1991, il traverse l’océan Pacifique à la rame. En 2001, il survole le pôle nord avec un petit avion monomoteur sans l’aide d’instruments de navigation électroniques, simplement en pilotage à vue. En 2006, il intègre le projet PlanetSolar (devenu Race for Water) de l’explorateur Suisse Raphaël Domjan comme coskipper mais n’en fait plus partie.   Il est président de l’association Patrimoine maritime et fluvial.

Utopie/escroquerie

Dans un courrier qu’il nous adresse le 11 novembre 2018, il écrit: « Prétendre ramasser les déchets plastiques qui envahissent les océans relève, au mieux de l’utopie, au pire de l’escroquerie. En ce qui concerne le projet Manta, Yvan Bourgnon n’étant pas un naïf, je pencherais pour la seconde explication. »

Il détaille ses arguments.

1. « Ce n’est pas une soupe »

« L’image, dit-il, d’une « île de plastique » c’est bon pour les journalistes. Cela n’existe pas. En haute mer, cette « soupe » est extrêmement diluée. L’expression souvent utilisée de «7ème continent» pour qualifier les déchets plastiques dérivants, si elle a le mérite de frapper les esprits et de faire prendre conscience d’une problématique bien réel, est trompeuse. Le ramassage est une illusion. En 1991, à la rame, j’étais assis au ras de l’eau. De là, avec le soleil, on voit tout sur 1 mètre de profondeur. J’avais compté: je voyais un bout de plastique de la taille d’un petit doigt toutes les 20 minutes. »

2. Une « épuisette de 70 mètres de long »

Gérard d’Aboville estime que « quelles que soient les dimensions du bateau tracteur et celles du filet remorqué, la surface «balayée» restera infime par rapport à l’immensité (et à la profondeur) des mers ». Joint par téléphone, il rajoute: « on ne peut pas faire une épuisette de 70 mètres de long qui demande une débauche d’énergie à tracter pour récupérer très peu. En revanche, en fond de baie ou d’estuaire ou dans certaines courbes, là où le courant les pousse, on peut récupérer les déchets amoncelés ». C’est ce que dit également Yvan Bourgnon, dans sa réponse.

3. « Trop d’énergie pour tracter le filet »

Pour lui, la traction du filet engendrerait une débauche d’énergie. « Pour être en mesure de ramasser des déchets très fractionnés, le filet devrait avoir des mailles si fines qu’il deviendrait une véritable ancre flottante. Il serait remorquable à une vitesse dérisoire et au prix d’une dépense énergétique considérable. »

D’autres voix s’élèvent

Gérard d’Aboville n’est pas le seul à émettre un doute sur l’efficacité des solutions de dépollution des océans en général. L’océanographe, François Galgani, estime que  » Les initiatives de ramassage au large, par des voiliers ou des barrages flottants, relèvent plus de l’aventure sportive humaine que de préoccupations environnementales ».

Méconnu mais plus incisif, Quentin Hoerner, président de la discrète Ambassade des Océans, calcule que « sur 30 ans, le projet Manta ne viendrait extraire qu’à peine 5% de la pollution totale cumulée ». De renchérir : « Si les citoyens ne sont pas informés, ils continuent de polluer. S’ils continuent de polluer la collectivité mondiale aura toujours besoin de bateaux pour corriger cette dérive humaine. Or, si les budgets publiques et privés sont investis en amont, la pollution n’existe plus, et les bateaux nettoyeurs (ou les bouées de collecte de Boyan Slat) n’ont plus de raisons d’exister…. Et le modèle économique de The Sea Cleaners s’effondrerait. »

« Je suis ulcéré »

Gérard d’Aboville, François Galgani, Quentin Hoerner plaident pour une réduction rapide du plastique en amont des océans: à terre. « Il faut surtout traiter le problème à la source. Cela passera par valoriser les déchets » argue Gérard d’Aboville.

Le navigateur explorateur ne cache pas son courroux. « Je suis ulcéré par ce genre de faux projets destinés à tirer de l’argent à des gens pas très bien informés qui croient que l’on peut marcher sur des îlots flottants. Si ce sont des entreprises enclines au green washing qui se font avoir, après tout, c’est tant pis. Mais il ne faut pas mentir aux gens. »

Gaëlle Richard
==> 2/2 Yvan Bourgnon répond à Gérard d’Aboville: à paraître mardi 20 novembre.