Environnement • 13 janvier 2025
Les essais nucléaires en Polynésie, une histoire encore bien sombre
La Polynésie française porte une cicatrice indélébile : celle des essais nucléaires réalisés par la France entre 1966 et 1996. Cette période, marquée par 193 explosions dans les atolls isolés de Moruroa et Fangataufa, a laissé des traces profondes sur les populations locales, l’environnement et la relation entre Paris et ce territoire du Pacifique. Bien que l’État français ait amorcé une reconnaissance des conséquences de ces essais, l’ombre de cette époque persiste.
Une ambition nucléaire délocalisée
Au lendemain de l’indépendance de l’Algérie en 1962, la France a dû trouver un nouveau site pour poursuivre son programme nucléaire, initié dans le désert saharien. La Polynésie française, située à des milliers de kilomètres des grandes populations, fut choisie pour accueillir ces tests. Les atolls de Moruroa et Fangataufa devinrent ainsi les théâtres d’expérimentations nucléaires intenses. Entre 1966 et 1974, ces essais furent menés dans l’atmosphère avant de se poursuivre sous terre jusqu’à la fin du programme en 1996.
Le dernier essai nucléaire français eut lieu le 27 janvier 1996, marquant officiellement la fin de ces tests qui avaient suscité de nombreuses critiques internationales.
Des impacts multiples et durables
Santé publique : une bombe à retardement
Les conséquences des essais nucléaires sur la santé des populations polynésiennes sont aujourd’hui bien documentées. Une étude récente de l’ONG Disclose a révélé que près de 110 000 personnes auraient été exposées à des doses significatives de radiations. Les îlés les plus proches des sites d’essais ont été directement touchés par les retombées radioactives, augmentant les cas de cancers, de maladies de la thyroïde et d’autres pathologies graves.
Bien que la loi Morin de 2010 ait prévu un cadre pour indemniser les victimes, ses critères stricts ont limité le nombre de bénéficiaires. Sous la pression des associations locales et internationales, le gouvernement a assoupli ces critères en 2017, mais le processus reste complexe et insuffisant.
Un environnement sacrifié
Les dégâts environnementaux causés par les essais nucléaires sont également considérables. Les atolls de Moruroa et Fangataufa, aujourd’hui sous surveillance militaire, présentent des fissures inquiétantes dans leurs formations coralliennes, augmentant les risques de fuites radioactives dans l’océan. Les eaux et écosystèmes marins, jadis riches, ont été gravement contaminés.
Malgré des évaluations régulières par la France, la méfiance persiste chez les habitants et les experts environnementaux, qui dénoncent un manque de transparence dans les rapports officiels.
Conséquences politiques et sociales
Les essais nucléaires ont renforcé les tensions entre la Polynésie et l’État français. De nombreux Polynésiens considèrent ces tests comme une forme de colonialisme scientifique et militaire, où leur territoire et leur santé ont été sacrifiés au profit de la puissance française.
Ces ressentiments ont alimenté des revendications pour davantage d’autonomie, voire pour l’indépendance de la Polynésie française. En 2021, le président Emmanuel Macron a reconnu que la France avait une « dette » envers la Polynésie et promis plus de transparence sur les archives des essais.
Une mémoire encore vive
Malgré les engagements pris par la France, le chemin vers une réparation pleine et entière reste long. Les habitants de la Polynésie continuent de lutter pour la reconnaissance de leurs droits et de leur histoire. Les associations locales, soutenues par des ONG internationales, réclament une indemnisation à la hauteur des préjudices subis, ainsi qu’un effort plus soutenu pour dépolluer les zones affectées.
Cette période sombre de l’histoire française rappelle les sacrifices imposés aux populations autochtones dans la course aux armements de la Guerre froide. Les essais nucléaires en Polynésie ne sont pas seulement une affaire du passé : ils restent un enjeu contemporain de justice environnementale et sociale.