Environnement • 16 avril 2018
« 70% des déchets marins sont du plastique »
Interview
François Galgani, biologiste à l'Ifremer, note une "prise de conscience" et des décisions politiques "assez radicales"
François Galgani, océanographe biologiste à l’Ifremer, est spécialiste des déchets marins. Il ne cesse d’alerter sur les dangers des plastiques dans l’océan mais note une prise de conscience générale et des actions politiques fortes au niveau européen.
Pourquoi trouve-t-on surtout des déchets en plastique sur les plages?
Les déchets qui arrivent sur les plages sont ceux qui flottent. Les plus lourds coulent au fond. 70% déchets en mer sont du plastique. Comme ils flottent, ils sont facilement transportés. Il existe des plastiques plus lourds comme le PVC. On le trouve dans les sacs en polycarbonate car il sert à rigidifier. Ceux-là coulent. En 1998, nous avions plongé dans le canyon de Capbreton et nous y avions trouvé des sacs plastiques. Le polyéthylène et polypropylène, sont les principaux plastiques qui restent en surface. On connaît mieux ce qui flotte mais nous avons aussi procédé à des inventaires et des campagnes de chalutage pour préciser nos connaissances sur les déchets de fond.
Par quel phénomène les déchets espagnols se retrouvent sur les plages du Pays-Basque en hiver?
En hiver, le courant généré au Portugal, dans les zones d’upwelling (remontée des eaux froides), se fait surtout sentir de novembre à avril et il transporte les déchets des côtes espagnoles. Il longe la péninsule ibérique, passe le Cap Finistère et achève sa course en Pays Basque. C’est là qu’il diminue en intensité et dépose sa récolte sur les plages. En été, le courant du nord golfe de Gascogne, « descend » et draine également des déchets sur ces plages. L’Adour et la Nivelle sont également des pourvoyeurs de déchets. Leur débit n’est pas assez fort pour les entraîner vers l’océan, donc ils s’accumulent sur les plages. C’est un problème même si les collectivités dépensent énormément d’argent pour nettoyer.
Sait-on si le volume de déchets marins diminue ces dernières années? Y a-t-il une prise de conscience?
Nous n’avons pas constaté de baisse. Mais pas de hausse non plus. Certains types de déchets diminuent comme les pneus, c’est rare de trouver des pneus sur les plages de nos jours. L’interdiction des sacs plastiques non dégradables en sortie de caisse est trop trop récente (2016) pour porter ses fruits. En quinze ans, on note une baisse de 15 milliards de sacs distribués dans les supermarchés. Restent les emballages, suremballages, feuilles de plastique transparentes, etc.
En revanche, je constate une prise de conscience générale. On en parle régulièrement, les gens sont de plus en plus au courant. La commission européenne a adopté un plan de gestion des déchets plastiques, Plastic Strategy. Elle veut créer 200.000 emplois pour le recyclage. C’est donc que les déchets commencent à avoir une valeur marchande. Par conséquent, des moyens sont mis en place. C’est une politique très ambitieuse qui va être déclinée dans les années à venir dans les différents Etats. Les élus prennent des décisions assez radicales. Dans les zones touristiques, l’enjeu est très net: à Nice, le nettoyage coûte 3,5 millions d’euros et emploie 35personnes. A l’échelle européenne, la facture s’élève à 263 millions d’euros en Europe et à 8 milliards dans le monde (nettoyage des plages, accident si les filets dérivants se prennent dans les hélices, blessures sur les plages à cause des bouts de verre, etc.).
Est-ce que le moindre déchet en plastique finira en particule?
Oui, car même les moins dégradables finissent par se fragmenter. Il n’y a que le verre qui ne bouge presque pas. Lorsqu’elle n’est pas cassée, une bouteille reste pour des milliers d’années.
Quel est le risque le plus important? Les macro-déchets ou les particules?
Il existe différents stades lors de la dégradation d’un plastique. Les macro-déchets, un filet perdu par exemple, provoque l’étranglement d’animaux ou peut continuer à pêcher (dans le golfe du Lion, cela représente 3% du stock de poisson). Dauphins, tortues et poissons se prennent dedans. Contrairement aux tortues, les dauphins sont moins attirés par le plastique parce qu’ils ne mangent pas de méduses. Donc ils en ont moins dans l’estomac. Les tortues ne font pas la différence entre une méduse et une sac plastique qui flotte. Ensuite, viennent les problèmes liés aux fragments: l’ingestion par certains oiseaux qui piquent à surface de la mer. en moyenne c’est comme si l’humain avalait 50g de plastique. Le plancton est susceptible d’avaler des microplastiques. Les moules, au contraire, filtrent en deux jours, le plancton en quelques heures. C’est important car il y a donc moins de chance de transmettre la matière dans la chaîne alimentaire. En revanche, le risque existe sur les matières chimiques associées au plastique. Il y a 5000milliards de particules de déchets flottantes au gré des courants qui véhiculent les espèces, entraînant un phénomène de dispersion important. On sait que cela engendre un brassage génétique et des problèmes de santé comme des épidémies peuvent être ainsi véhiculées.
Quelle serait la solution?
Il n’existe pas de remède miracle mais le recyclage me paraît être une très bonne solution. Il est devenu une source de revenu. Le recyclage permet d’éviter de produire autant que nous avons produit jusqu’à présent. En outre, les nouveaux matériaux commencent à se développer. Quant à changer comportement… c’est très très long.