Dossier • 22 mai 2018
« 2018 sera crucial pour la croissance bleue »
[ENERGIES DE LA MER]
Sylvain Roche, spécialiste des énergies marines renouvelables, prévient que 2018 sera une année cruciale pour l'hydrolien. L'éolien flottant joue aussi une carte importante
Sylvain Roche réalise sa thèse(1) en économie de l’innovation sur la filière des énergies marines renouvelables et la croissance bleue. Ses travaux se concentrent sur la mise en place des politiques publiques dans le secteur énergétique et sur les nouveaux enjeux de l’économie de la mer.
Vous estimez que 2018 est une année à fort enjeu pour les énergies marines renouvelables, EMR. Pourquoi?
En 2018, deux évolutions importantes pour les EMR devraient se décider: une pour l’hydrolien, l’autre pour l’éolien posé (sur le fond sous-marin). Les acteurs de la filière attendent de savoir si l’Etat va ou non lancer un appel d’offres pour mettre en place des fermes commerciales hydroliennes. En novembre dernier, lors des Assises de l’économie de la mer, ils attendaient une prise de position du nouveau gouvernement. Or, le Premier ministre Édouard Philippe est resté silencieux sur ce sujet. Le Syndicat des énergies renouvelables (SER) espère le lancement d’un appel d’offres pour l’hydrolien dans les prochains mois, ainsi que d’autres appels d’offres pour l’éolien en mer. D’un point de vue économique, ces appels d’offres sont importants pour la filière EMR car ils permettent d’initier la « courbe d’apprentissage », marquée par la réduction des coûts de production au fur et à mesure qu’augmente l’expérience. Aujourd’hui, l’Etat veut actuellement revoir à la baisse le prix d’ achat de l’électricité négocié avec les lauréats de l’appel d’offres de juillet 2011. Depuis 2011, le prix des technologies s’est en effet effondré, permettant d’afficher des coûts de production parfois inférieurs à 50 euros le MWh (Danemark), pour des machines toujours plus performantes. Les industriels sont évidemment opposés à cet ajustement car ils ont établi leur modèle économique à partir de ce prix négocié.
« Sans prendre position, parce que l’Etat a aussi des raisons de vouloir diminuer le prix, on voit là comment l’agenda politique déconstruit l’agenda industriel et technologique. »
Pour l’éolien flottant, comment se situe la France?
La France a loupé le coche pour l’éolien terrestre dans les années 90 et beaucoup estiment qu’elle est aujourd’hui trop en retard sur l’éolien posé en mer (posé sur les fonds marins à 50m de profondeur maximum).Elle doit maintenant ne pas rater la vague de l’éolien flottant. Plus éloignée du littoral, l’éolien flottant s’affranchit de la contrainte de profondeur et peut ainsi être installé plus au large et avoir un impact visuel réduit depuis la côte. L’éolienne est fixée sur une structure flottante maintenue par des lignes d’ancrage reliées au fond marin. Le montage et la maintenance des éoliennes flottantes peuvent être faits à quai, limitant ainsi les coûts liés à la logistique. La France compte tous les acteurs nécessaires pour développer cette technologie émergente à fort potentiel marchand.
« La vague est porteuse et, c’est comme en surf, il faut savoir la prendre pour ne pas la laisser passer. »
Comment La France se positionne-t-elle sur les EMR au sein de l’Europe?
Elle compte des savoirs-faire indéniables et une expérience importante. Des entreprises comme Naval Group ou STX possèdent des compétences et une puissance financière. Cette force de frappe doit être couplée au dynamisme de start-ups innovantes comme Energie de la Lune à Bordeaux, motrice dans le secteur de l’hydrolien estuarien, et qui participe à la prise de conscience sociétale. Nos territoires d’Outre-mer représentent un atout indéniable pour développer des niches commerciales car les îles restent, pour le moment, largement dépendantes d’un pétrole exorbitant (dépassant les 600 €/MWh dans certaines îles isolées du Pacifique). Ces territoires représentent aussi un intérêt géostratégique certain. Jusqu’ici à la marge, les territoires insulaires sont désormais au centre d’un important jeu géopolitique.
Le courant du Fromveur et du Raz Blanchard font partie des sites mondiaux les plus importants pour la production d’énergie due aux courants. Une ferme implantée dans ces endroits serait primordiale pour tester les machines, étape préalable à toute forme de commercialisation.
Mais la France rencontre également des freins. Les conflits d’usage entre les industriels porteurs de projets et les associations, riverains engendrent des retards ou annulation de parcs. Les pouvoirs publics doivent donc s’engager dans le « dérisquage » de ses projets, notamment par l’amélioration des études en amont pilotées par l’État et les collectivités territoriales afin de réduire l’incertitude et les délais.
Quelle est l’histoire de « l’économie bleue » en Europe?
La crise du milieu des années 2000 encouragea les acteurs à trouver de nouveaux viviers de croissance. En effet, cette nouvelle économie de la mer s’inscrit dans un contexte particulier, où les nouvelles activités écologiques sont définies comme des solutions de sortie de crise économique. Les stratégies de croissance bleue sont alors présentées comme des « new-deal maritimes », avec pour objectif de ré-enchanter l’industrie en proie à la crise économique par le projet de transition écologique (valoriser l’océan tout en le préservant). Des pays ont alors développé une réelle stratégie maritime, visant à valoriser leurs ressources naturelles et leurs compétences industrialo-scientifiques. Le Portugal et le Royaume-Uni se sont rapidement positionnés comme deux vitrines européennes de cette nouvelle donne. Ces dynamiques nationales ont nourri la dynamique européenne (dans le cadre de la stratégie Europe 2020) et celle des régions maritimes.
Quand la France a-t-elle pris la vague de la croissance bleue?
En France, les négociations du Grenelle de la mer à peine closes, le président Nicolas Sarkozy s’emploiera à leur donner une tournure politique en les replaçant dans le cadre plus ambitieux de la « stratégie maritime » lors d’un discours au Havre en 2009. Cette séquence lancera le vaste chantier de la construction d’une politique maritime française portée par l’adoption d’un Livre bleu. Les acteurs de la filière maritime avaient néanmoins déjà commencé à s’organiser pour peser. Le cluster maritime français (CMF) est né en 2006 et a contribué à faire bouger les lignes. Le Secrétariat général de la mer (SGmer) est également une structure importante car il est en charge de la coordination interministérielle des actions de l’État en mer. Ces deux organismes font le lien entre la volonté des acteurs professionnels et la volonté politique.
Au-delà de toute stratégie maritime, deux étincelles ont joué dans la nécessité de reconquérir l’espace maritime français : une nouvelle géostratégie des mers (la montée en puissances des pays asiatiques) et la crise systémique (énergétique, environnementale et économique) encourageant à réactiver d’anciennes technologies. Et à ce titre, les énergies marines ont été au cœur de ce processus. Elles ont transversalisé et territorialisé des enjeux jusqu’ici éclatés, et ont été un des moteurs de cette inspiration à passer à une dimension maritime supérieure.
Quelles sont les énergies de la mer, autre que l’éolien et l’hydrolien?
Il existe plusieurs autres technologies, avec des degrés de maturité très différents. L’énergie marémotrice est par exemple la technologie la plus mature. Elle était déjà exploitée au moyen-âge avec les moulins à marée. L’inauguration de l’usine marémotrice de la Rance en 1967 par le général de Gaulle marquera toute une génération. Des acteurs réfléchissent aujourd’hui à de nouveaux procédés, respectant mieux l’environnement marin et s’intégrant dans le cadre de projets de territoire.
L’énergie des vagues, houlomotrice, est une autre composante des énergies marines. Les premières idées d’utilisation de l’énergie des vagues débutent dès le début du 19ème siècle avant que la crise énergétique des années 1970 lance les premières tentatives concrètes. Il faut attendre le milieu des années 2000 pour voir un nouveau regain d’intérêt pour l’énergie des vagues en France, à travers le prisme du développement durable et de la croissance bleue. Pour autant, l’énergie houlomotrice reste encore aujourd’hui une filière fortement marquée par les débats et les controverses. Si l’énergie des vagues entre dans une logique environnementale, il lui reste ce défi de s’intégrer dans la logique économique du marché hautement concurrentiel de l’énergie. De véritables ruptures technologiques semblent à ce jour indispensables pour déverrouiller la filière, convaincre les indécis et ainsi impulser une nouvelle dynamique vertueuse. Les réflexions innovantes et trans-sectorielles menées actuellement autour du biomimétisme pourront peut-être apporter des solutions de rupture à cette filière située à l’heure d’aujourd’hui à la croisée des chemins